Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/12

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vers systèmes ne peuvent dépasser le possible. Au principe de contradiction, le seul qu’ils connaissent, il est indispensable d’ajouter un nouveau principe également absolu : le principe de raison suffisante. Celui-là sera le principe propre du réel. Ce n’est pas tout : au sein même des choses existantes, des séparations s’accentuent. Tout ne se ramène pas à l’ordre mathématique : les substances le dominent ; et, dans cet ordre supérieur, il faut considérer, d’une part, le physique, domaine des causes efficientes, d’autre part, le moral, domaine des causes finale. Chez Kant, ces distinctions deviennent des séparations. De plus, au sein du monde réel, entre les lois physiques et les lois morales apparaissent, chez lui, les lois biologiques, lesquelles sont, du moins pour nous, irréductibles aux précédentes, et supposent la finalité. Enfin, pour Schelling et Hégel, les lois d’essence et les lois d’existence sont insuffisantes : pour rendre raison du réel, il faut poser des lois de développement, déterminer un processus qui précède toute essence comme toute existence, et qui soit la reproduction dans la pensée de la création même des choses.

C’est ainsi que la philosophie rationaliste, qui partait de l’unité, s’est vue obligée de reconnaître différents types de lois. C’est qu’elle s’est trouvée en face de l’expérience, et que la confrontation de ses principes avec les faits l’a forcée à agrandir son cadre. À vrai dire, elle a pensé réduire et rendre intelligible cette diversité. Mais elle n’y est arrivée en apparence qu’en modifiant de plus en plus le concept d’intelligibilité. Déjà Descartes, avec son intuition, modifie l’idée que les anciens s’étaient faite de l’intellectualisme. Avec Spinoza apparaît une notion nouvelle, celle de l’infini, laquelle, pour les anciens, était l’inintelligible même. Leibnitz ne craint pas