Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/134

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difficultés. On s’efforce d’expliquer les faits par leurs antécédents en éliminant toute initiative humaine ; mais la question se pose de nouveau à propos de ces antécédents mêmes, et ainsi de suite à l’infini. De ce que je suis purement et simplement l’impulsion que m’ont donnée mes ancêtres, il ne résulte pas que mes ancêtres aient été passifs comme moi. D’une manière générale, la nécessité des suites ne préjuge pas celle de l’origine.

Que si, laissant de côté la question d’origine, nous considérons en elle-même la loi dite historique, nous trouvons qu’une telle loi n’est pas tenue par les hommes pour nécessitante. Tout au contraire, nous les voyons dire : tel peuple, dans des conditions analogues à celles où nous nous trouvons, a été frappé de telle manière : veillons à ce que la même chose ne nous arrive pas. Jamais, en cet ordre de choses, on ne considère l’antécédent comme devant nécessairement entraîner un seul conséquent, à l’exclusion de tout autre. Un antécédent est considéré comme une influence, non comme une cause proprement dite.

On peut aller plus loin, et se demander s’il existe vraiment des lois historiques. Il est à remarquer que les historiens de profession ont peine à l’affirmer. Fustel de Coulanges disait qu’en histoire on peut quelquefois, bien rarement, déterminer des causes, mais qu’il fallait renoncer à trouver des lois. En effet, estimait-il, une loi implique la réapparition d’un même antécédent. Or, où voyons-nous l’histoire se répéter ? Le trait essentiel de l’esprit historique, aimait à dire M. Zeller, est le discernement des caractères propres à chaque époque ; et l’on se trompe d’ordinaire quand on juge du passé par le présent, ou réciproquement. Les faits historiques sont des mélanges trop complexes et instables [130]