Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/60

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respond aux lois physiques et dans quelle mesure il nous est permis de les tenir pour objectivement existantes.

Lorsque s’établit dans la science la théorie mécanique de la chaleur, les philosophes crurent pouvoir en tirer un parti considérable. On vit, dans la loi d’équivalence du travail et de la chaleur, un cas de la loi générale de transformation des forces naturelles. On pensa qu’elle allait établir la continuité entre les choses qui paraissaient les plus hétérogènes. En effet, si le mouvement peut se changer en chaleur, pourquoi la chaleur ne se changerait-elle pas en force vitale, et celle-ci en pensée ? Tout peut se changer en tout, le rêve d’Héraclite est réalisé ; la transmutation, que les alchimistes ne cherchaient que de métal à métal, devient la loi universelle de la nature.

M. Renouvier a montré avec beaucoup de précision que cette interprétation est superficielle. La loi dont il s’agit, loin de prouver la possibilité des transformations, les exclut. En effet, elle n’est obtenue qu’en éliminant l’hétérogène pour ne considérer que l’élément homogène des choses. Le physicien écarte, pour la renvoyer au physiologiste, ou au psychologue, ou au métaphysicien, la meilleure partie de l’essence des phénomènes physiques ; et les lois qu’il pose ne concernent que les relations quantitatives que l’on peut découvrir dans ces phénomènes. Loin qu’il y ait transformation dans la production physique telle que l’envisage le savant, il y a passage du même au même, passage d’une distribution d’énergie à une autre distribution équivalente.

Cependant, qu’est-ce qui se conserve dans la nature, si ce n’est une force capable de revêtir toutes sortes de formes ? Spencer estime que la réalité d’une telle force