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manifestation de tendances, de sensations et de volontés.

C’est ainsi qu’en faisant varier à volonté la notion de l’atome, on est parvenu à lui faire expliquer toutes choses ; mais en même temps on a rendu cette explication très peu probante. D’une manière générale, l’atomisme peut rendre raison de tout, pourvu qu’il introduise dans l’atome cela même qu’il s’agit d’expliquer. Or cette manière de développer l’atomisme est en contradiction avec son principe, lequel est essentiellement un principe d’économie, plus précisément l’idée d’expliquer le supérieur par l’inférieur, l’apparence de la finalité par le mécanisme, l’esprit par la matière.

Mais revenons à l’atomisme vrai, à l’atomisme géométrique. Est-il certain qu’il concilie l’intelligibilité et la réalité ?

Le point de départ de l’atomisme moderne est la distinction newtonienne de l’espace et des corps. L’espace n’est autre chose que le vide, et le vide n’est pas pensable. Quant aux corps, ce sont des grandeurs ; mais on ne peut les mesurer absolument, car on manque d’unité absolue de mesure, et l’on ne saurait comparer l’atome au point mathématique, sans tomber dans les difficultés insurmontables de l’infini. L’étendue n’est jamais qu’un rapport. Il en est de même du poids : le poids est un rapport, et dépend de l’attraction terrestre. D’une manière générale, nous ne disposons que de l’expérience pour déterminer la grandeur ou la masse des atomes. Or l’expérience ne peut nous donner que le relatif. Ainsi la notion de l’atome est sans doute claire et évidente, tant qu’on demeure dans l’abstrait ; mais, quand on veut déterminer l’atome par sa place dans l’espace, sa forme, son étendue ou son poids, la pensée se trouve en face d’une simple relation, partant d’une indétermination invincible.