Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/85

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Toutefois, au point de vue philosophique, peut-on s’en tenir à ces assertions ? L’esprit poursuit la réduction de tout ce qui apparaît comme nouveau et hétérogène. Or la finalité est hétérogène au mécanisme. Si indispensable qu’il semble, le point de vue de la finalité ne serait-il pas relatif à notre constitution intellectuelle ? C’était l’opinion de Kant. Elle est, certes, plausible. Remarquons toutefois, et cela avec Kant lui-même, que l’extension du mécanisme à tout ce qui est ne s’impose pas philosophiquement. Comment cette extension se produit-elle ? Nous remarquons l’extrême fécondité du mécanisme, lequel, de proche en proche, explique les phénomènes pour lesquels on supposait des qualités occultes ; et nous sommes portés à croire qu’avec le temps tout apparaîtra comme mécanique. Mais, en admettant que tout doive un jour se ramener à l’unité, qui nous prouve que la science totale ne sera qu’une extension de la science mécanique, et non pas une science supérieure, où le mécanisme lui-même rentrerait comme une espèce dans un genre ? Au fond, on suppose que tout est dans tout, qu’un phénomène donné contient toutes les lois de la nature, et qu’ainsi, s’il existe une science dont la forme est parfaite, cette science doit être grosse de toutes les autres. La mécanique, ou science du mouvement, possède cette forme relativement parfaite. C’est donc elle, espère-t-on, qui parviendra à tout expliquer. Mais notre mécanique n’est pas, comme on le croit, pleinement intelligible ; en effet, outre la mécanique rationnelle, il faut considérer la mécanique appliquée. Or l’expérience est indispensable à cette dernière, et, comme toute expérience est limitée, les résultats qu’on y obtient ne sont que des approximations.