Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/91

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sont immanentes, c’est de rendre compte de la nature par des principes exclusivement naturels. Dès lors la nature apparaît comme un système, comme un édifice dont l’unité et l’explication résident dans la liaison des parties. Cette idée de la systématisation logique se détermine d’ailleurs en deux sens différents, que nous retrouvons chez les naturalistes du xviiie siècle. Il y a la méthode cartésienne, qui distingue, sépare et analyse, et la méthode leibnitienne, qui tend à rapprocher, à chercher des ressemblances ou des analogies, à établir la continuité. Soit d’une manière, soit de l’autre, la science moderne ne cherche plus, comme la science aristotélicienne, des lois de finalité, mais des lois de rapports et de coexistence. Il ne s’agit plus de l’origine métaphysique ; il ne s’agit pas encore de l’origine historique : il s’agit d’analyser l’actuel et de parvenir à le concevoir comme un système.

Si l’on considère le développement de la zoologie au xviiie siècle et dans la première moitié du xixe, on le trouve dominé par les idées que nous venons d’indiquer. L’illustre naturaliste suédois Linné prend pour point de départ la maxime de Leibniz : Natura non facit saltum. Il pense que les êtres de la nature doivent former une chaîne comme nos pensées mêmes, et que chaque espèce doit être exactement intermédiaire entre deux autres. Ordonner les êtres de manière que cette condition soit remplie, tel est l’objet de la science. Une telle classification est nécessairement unique : c’est la classification naturelle. Elle représente la pensée même du Créateur. Les espèces sont d’ailleurs fixes et distinctes. On ne peut les classer exactement sans les définir avec précision. Il faut, dans cette vue, prendre en considération tous les caractères que peuvent pré-