Page:Boutroux - De la contingence des lois de la nature.djvu/138

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le conçoivent-ils de la même manière ? Quel est le genre de bonheur qui est considéré comme la fin universelle des actes humains ? De même, en quoi consiste le développement harmonieux de nos forces et de nos facultés ? Quel est l’ordre de subordination qu’il s’agit d’établir entre elles ? Admettra-t-on, pour rester, autant que possible, sur le terrain des faits, que la faculté la plus haute est celle qui confère le plus de force ? Mais il n’est nullement évident que la grandeur morale rentre dans la force et ne mérite pas d’être recherchée pour elle-même. Le développement proportionné de nos puissances innées est-il un principe clair, propre à être compris de la même manière par tous les hommes ? Quant à l’adaptation des tendances aux choses, ne se peut-elle également concevoir de plusieurs manières ? Mettra-t-on sur le même rang celui qui cherche à se conformer aux conditions externes sans rien sacrifier de ses prérogatives humaines, et celui qui laisse dépérir ses facultés supérieures, sous prétexte qu’elles entravent l’adaptation ? Quel est le genre d’adaptation que l’on considérera comme la fin naturelle des actions humaines ?

Ensuite, peut-on dire qu’une tendance soit une réalité positive ? La tendance n’existe-t-elle que lorsqu’elle se manifeste ; n’est-elle qu’une somme d’actes passés ou présents ? Certes, elle peut exister lors même qu’elle ne se manifesterait pas. Est-ce une somme d’actes possibles ? De deux choses l’une : ou ces actes se réaliseront certainement, et alors ils ne sont pas simplement possibles, ils sont futurs : mais il n’est pas nécessaire qu’une tendance doive se réaliser pour que l’existence en puisse être admise ; ou ces actes sont véritablement possibles, c’est-à-dire se réaliseront ou ne se réaliseront pas : mais, dans ce cas, ils ne peuvent être considérés comme une réalité positive, c’est-à-dire donnée dans l’expérience.