Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/12

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traduire eux-mêmes en formules générales leurs idées directrices ? Serait-ce qu’ils se méfient de ces idées ? Les regarderaient-ils comme une faiblesse, dont ils n’ont pas lieu de faire étalage ? Ainsi que l’a fort justement fait remarquer M. Émile Picard[1], la plupart des savants de métier sont portés à redouter les dangers des vues philosophiques plutôt qu’à en reconnaître les avantages. À leurs yeux le philosophe est « l’homme qui excelle à voir les difficultés », et ils veulent à tout prix se préserver des doutes auxquels faisait allusion Jules Tannery lorsqu’il parlait un jour « de ces inquiétudes que nous cultivons sous le nom de philosophie »[2]. Mais, si rien n’empêche en effet l’homme de science d’écarter de son champ d’études les discussions concernant l’origine et la nature des notions auxquelles il a affaire, s’il lui est permis de n’avoir pas d’opinion sur les controverses métaphysiques touchant le problème de la connaissance, on ne saurait conclure de là qu’il puisse se passer de tout principe, non pas précisément philosophique, et encore moins extra-scientifique mais, en tout cas, extra-technique.

Non seulement, en effet, comme nous le disions plus haut, il faut au savant — au mathématicien surtout — un dessein et des vues d’ordre général pour guider ses recherches. Mais il est clair que l’existence même du savant ou du moins son acti-

  1. Émile Picard, La science moderne et son état actuel, p. 31-32.
  2. É. Picard, loc. cit.