Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/228

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« Il existe, si je ne me trompe, tout un monde qui est l’ensemble des vérités mathématiques, dans lequel nous n’avons accès que par l’intelligence, comme existe le monde des réalités physiques, l’un et l’autre indépendants de nous, tous deux de création divine… »

La connaissance intuitive est, pour Descartes, une sorte d’expérience, mais une expérience suprasensible, à laquelle notre imagination et nos sens n’ont aucune part. « L’esprit, dit-il[1], peut agir indépendamment du cerveau, car il est certain qu’il est de nul usage lorsqu’il s’agit de former un acte d’une pure intellection ». Les deux caractères essentiels de l’intuition sont, d’une part, qu’au lieu de décomposer la réalité en parties et la vérité en propositions (comme le fait la connaissance raisonnée), elle l’embrasse tout entière d’un seul coup d’œil[2], et, d’autre part, qu’elle est immédiate, instantanée, qu’elle agit hors du temps. Au contraire le raisonnement démonstratif, — que Descartes appelle généralement déduction, mais qui, en Mathématiques pures, se présentera le plus souvent sous la forme algébrique, c’est-à-dire synthétique — se déroule dans le temps et résulte d’un mouvement de l’imagination et de la pensée[3]. Ainsi la démonstration introduit dans la vérité mathématique, un ordre, qui est factice et relatif : « les choses considérées suivant l’ordre que leur assigne

  1. Réponses aux 5es objections, Œuvres, t. VII, p. 358.
  2. « Pour ce qui est de l’intellection d’un chiliogone…, il est très certain que nous le concevons très clairement et tout à la fois, quoique nous ne le puissions pas clairement ainsi imaginer ». Réponses aux 3es objections, Œuv., t. VII, p. 385.
  3. « Continuo quodam motu imaginationis » (Regulæ VII, Œuv., t. X, p. 385).