Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant Descartes lui-même n’aperçut pas la conséquence qui résultait fatalement de ses principes. Sans doute il prétend bien faire de la Physique une théorie mathématique, puisqu’il veut en traiter les problèmes en termes d’étendue et de mouvement. Mais l’on ne voit pas exactement quel lien il établit entre cette théorie et la méthode algébrique, dont pourtant il fut par ailleurs l’un des principaux promoteurs. La pensée de Descartes présente ici une lacune que nous avons déjà signalée lorsque nous avons fait allusion aux jugements portés par le philosophe sur son traité de la Géométrie. À ce propos, nous avons indiqué la raison probable de l’attitude de Descartes. Bien qu’il attribue certainement une portée générale à la méthode posée dans la Géométrie, il ne voit pas comment les problèmes contenus dans ce traité peuvent être utilisés en mécanique. Et c’est pourquoi il se désintéresse de ces problèmes. Cependant, l’arrêt que subit de ce fait le développement de la pensée scientifique ne fut que de courte durée. Grâce à la création du calcul infinitésimal, Newton et Leibniz purent réaliser l’œuvre qu’avait ébauchée Descartes : la réduction au calcul des problèmes fondamentaux de la mécanique. De nouveaux progrès furent accomplis dans cette voie au cours du xviiie siècle, et ainsi fut bientôt constituée, sous le nom de Mécanique analytique et de Physique mathématique, un ensemble de théories extrêmement remarquables, qui empruntent la méthode de l’algèbre, mais l’appliquent à d’autres objets que ceux auxquels s’attache d’ordinaire le pur mathématicien.

« Les méthodes que j’expose, dit Lagrange[1], — auteur du premier traité systématique de mécanique analytique — ne demandent ni constructions, ni raison-

  1. Mécanique analytique, Avertissement, Œuv., t. XI, p. XII.