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comme Descartes paraît l’avoir pris[1] et puis Monsieur Poiret. Cela n’est véritable que des vérités contingentes, dont le principe est la convenance ou le choix du meilleur ; au lieu, que les vérités nécessaires dépendent uniquement de son entendement, et en sont l’objet interne[2] (§ 180-184, 185, 335, 351, 380).

47. Ainsi Dieu seul est l’unité primitive, ou la sub-

  1. Descartes a dit en propres termes (Lettre au P. Mesland, 1644, éd. Garnier, t. IV, p. 147) : « Dieu me peut avoir été déterminé à faire qu’il fût vrai que les contradictoires ne peuvent être ensemble et que par conséquent il a pu faire le contraire. » Et dans une lettre au P. Mersenne, 1637 (éd. Garnier, t. IV, p. 124), il dit que « Dieu a été aussi libre de faire qu’il ne fût pas vrai que toutes lignes tirées du centre à la circonférence fussent égales, comme de ne pas créer le monde, et qu’il est certain que ces vérités ne sont pas plus conjointes à son essence que les autres créatures ». Qu’a voulu dire Descartes ? Vraisemblablement ceci : que ce que nous appelons contradiction suppose deux affirmations, que ces deux affirmations supposent deux jugements successifs séparés l’un de l’autre par un intervalle de temps, et que, comme les parties du temps ne dépendent point les unes des autres (Princ. de Phil., I, 21), comme la conservation des essences aussi bien que des existences n’est qu’une libre création continuée, Dieu peut parfaitement changer l’ordre des choses pendant l’intervalle de temps qui sépare mon premier jugement du second. Descartes n’a pas dit d’ailleurs que toute espèce de contradiction peut être réalisée par Dieu. Il a dit au contraire que certaines contradictions, telles que l’indépendance des créatures à l’égard de Dieu, nous apparaissent comme impossibles (Lettre au P. Mesland, éd. Garnier, t. IV, p. 147). Mais il ne veut pas que nous nous représentions ces contadictions impossibles quand nous voulons connaître l’immensité de la puissance de Dieu. Enfin il conclut en disant que nous ne devons concevoir aucune préférence ou priorité entre son entendement et sa volonté (ibid., p. 148. Voy. sup., p. 86).
  2. La doctrine de Descartes et de Leibnitz à ce sujet résulte de la manière dont l’un et l’autre conçoit le rapport de l’essence de l’homme à l’essence divine. Descartes, qui tient l’entendement humain et l’entendement divin pour hétérogènes, ne soumet pas Dieu aux principes qui gouvernent l’entendement de l’homme. Leibnitz, qui ne voit, entre l’essence de la créature et celle du créateur, qu’une différence de développement, tient l’absolu humain pour identique avec l’absolu véritable, et les principes suprêmes de l’intelligence humaine pour communs à l’homme et à Dieu.