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sont conformes à la nature instable de nos sentiments. Or la conversion de l’homme est empêchée par sa paresse, ses passions, son orgueil, en un mot, par l’amour de soi. Il ne faut pas prétendre vaincre ce sentiment par une idée. Une passion ne cède qu’à une passion. Il s’agit d’éveiller dans l’âme le mépris de soi et l’amour de Dieu. C’est le progrès même de la charité qui diminuera la force de l’amour de soi. À l’art d’agréer il appartient principalement d’ôter les obstacles et de disposer le cœur à l’amour de Dieu.

Pour toucher le cœur d’autrui, il faut, dans ses discours, suivre un certain ordre. Le cœur a son ordre. Jésus-Christ, saint Paul, saint Augustin suivent cet ordre. Il consiste principalement en la digression sur chaque point qui se rapporte à la fin, de manière que cette fin soit constamment devant l’esprit. C’est un ordre, non unilinéaire, mais convergent. Les parties ne sont pas rapportées à ce qui précède, mais à ce qui doit les suivre et les ramener à l’unité.

L’art de convaincre et l’art d’agréer sont d’ailleurs, en une affaire telle que la religion, qui concerne l’homme tout entier, indispensables l’un et l’autre, et doivent être étroitement unis. Tâche difficile, parce que les qualités qu’ils supposent, l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse, sont en quelque sorte contradictoires. L’un part de principes abstraits et gros, pour descendre aux conséquences l’autre part des choses communes, pour en chercher les principes innombrables, déliés et insaisissables. Ajuster ensemble l’abstrait et le concret, les axiomes et les réalités, telle est la méthode nécessaire.