Page:Boutroux - Pascal.djvu/177

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savants concluent qu’il n’y a pas de morale. Mais ils se trompent et le peuple, qui persiste à admettre la distinction du bien et du mal, leur est supérieur. Il y a un principe de la morale, qui est de bien penser, de penser selon la droite raison, c’est-à-dire, notre raison ayant besoin de guide, de penser selon l’inspiration du cœur. Mais s’ensuit-il qu’il dépende de nous de connaître et de faire le bien ? Nullement, parce que notre cœur, naturellement mauvais et aveugle, ne peut nous guider convenablement en matière pratique, que si nous le transformons, si nous le régénérons. Et il n’est pas en notre pouvoir d’agir sur notre cœur, d’aimer selon le commandement de notre intelligence. Seuls nos actes extérieurs dépendent de nous. En sorte que la morale nous ordonne ce qui ne dépend pas de nous.

Quel monstre est-ce donc que l’homme, quel chaos, quelle énigme, si tous ses efforts pour mettre de l’harmonie dans son être n’aboutissent qu’à en augmenter l’incohérence ?

Il est une race d’hommes qui se donnent pour plus savants et plus profonds que les autres, et qui prétendent trouver, par la seule force de leur raisonnement, l’explication de la nature humaine, et les moyens de la conduire à sa perfection. Ce sont les philosophes. Voyons ce que valent leurs doctrines. Ils affectent de ne relever que de la raison. Certes la raison a droit à nos respects. Elle nous commande plus impérieusement qu’un maître ; car en désobéissant à l’un on est malheureux, en désobéissant à l’autre on est un sot. Mais, d’autre part, notre