Page:Boutroux - Pascal.djvu/178

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raison est le jouet de nos sens et de notre imagination, puissances déréglées et trompeuses ; et elle est ployable à tout sens. Souveraine et esclave, telle est notre raison.

Sur cette contrariété les beaux esprits la condamnent. Ils se trompent. Car la force et l’autorité de la raison ne sont pas moins certaines que sa faiblesse. La raison est sûre dans ses principes les plus généraux, tels que les principes d’identité et de contradiction. Mais ces principes ne suffisent pas pour penser. Il faut aussi des vérités premières, des propositions fondamentales, et ces propositions lui font défaut. Elle raisonne bien, mais sur des principes qu’elle ne peut éprouver.

On serait tenté de répondre que nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur et le sentiment, et que c’est par ce dernier organe que nous connaissons les premiers principes. Il y a des faits physiques : nous les connaissons par les sens. Pareillement, il y a des faits métaphysiques : nous les percevons par le cœur, comme par un sens suprasensible. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis. — Il est vrai ; mais des mathématiques on ne peut conclure à la philosophie. Il nous est indifférent que l’espace ait trois ou quatre dimensions. Au contraire, notre intérêt est engagé dans le problème de notre destinée. Aussi ne cherchons-nous pas la vérité philosophique avec cette pureté de cœur qui serait nécessaire pour la discerner. De nous-mêmes nous la fuyons, et par nous-mêmes nous ne pouvons purifier notre cœur.