Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/136

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Quelle erreur, mon cher Isaac, et quel aveuglement ! Nous n’aurons de sauf-conduit après la mort que celui de nos bonnes actions. C’est une conscience pure qui nous donne une noble assurance, lorsque nous sommes prêts à faire ce voyage. Quand on a vécu innocent, pourquoi craindre le trépas ? Il met fin à nos peines. Infortunés pélerins, jouets des passions, en butte à toutes les rigueurs du sort, qui peut causer nos regrets ? Si le ciel ne nous avoit commandé de ne point attenter sur nos jours, j’aurois approuvé la coutume qu’on observoit dans certaines villes du tems de Pompée, où il étoit permis, lorsqu’on étoit trop malheureux, de demander le poison qu’on gardoit exprès dans la république, & dont les magistrats étoient les sages dispensateurs, & jugeoient si les infortunes dont on se plaignoit étoient assez violentes pour mériter le reméde public. Mais comment leurs jugemens pouvoient-ils être justes ? L’homme ne voit qu’à travers le voile de ses passions : ce sont elles qui le déterminent toujours. Un amant malheureux devoit accorder tout le poison à celui qui vouloit mourir pour la perte d’une maîtresse. Un joueur qui croyoit qu’il convenoit beaucoup mieux à celui qui avoit