Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/150

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en a loué un autre pendant dix ans, & qui ne perd pas l’occasion de porter un coup sensible à sa réputation, en satisfaisant son humeur mordante. Le génie des François est tourné à la médisance ; c’est le foible de la nation. Un ami sacrifie souvent son ami au plaisir de dire un bon mot : & il est peu d’amitiés dans ce pays qui soient à l’épreuve d’une saillie heureuse. Aussi voit-on rarement des gens qui soient assez heureux, pour avoir quelqu’un qu’ils puissent rendre le confident de leurs peines, & le dépositaire de leurs secrets ; & si les véritables amis sont rares par-tout, ils le sont plus en France qu’ailleurs.

Cet esprit critique & médisant, qui domine les François, répand une contrainte infinie dans toutes leurs actions. Ils mesurent leurs moindres démarches. Ils savent qu’ils sont sans cesse examinés par des yeux jaloux & attentifs à donner un ridicule. Aussi, dans les assemblées publiques, aux spectacles, aux promenades, ils prennent garde à leurs gestes, à leur façon de marcher, à leur maniere de rire, à leur ton de voix, & sur-tout à leur parure. Les femmes poussent l’exactitude sur cet article à un point surprenant.

Un général ne délibère pas avec plus d’attention dans un conseil de guerre, sur la réussite d’une bataille qu’une coquette