Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/304

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de l’esprit, il y auroit toujours dans le même pays le même génie, à quelque chose près. Quelle différence néanmoins des Grecs d’aujourd’hui, à ceux de la savante Athènes ? Les Levantins donnent dans des idées outrées & gigantesques. Peut-on faire le même reproche aux auteurs de l’ancienne Grèce ? Où voit-on plus de simplicité, plus de grandeur & d’éloquence en même tems, que dans Démosthène ; plus de naturel que dans Euripide ; plus de majesté & de sublime que dans Homère & Sophocle ; plus de netteté, plus de précision, plus d’exactitude que dans Xenophon ? Ces auteurs vivoient dans le même pays que les poëtes Grecs & Turcs d’aujourd’hui. Le même soleil qui échauffoit les uns, échauffoit les autres. Cependant où trouve-t-on plus d’extravagance que dans les poésies d’Achmet Chelibi [1], & d’impertinences que dans les ouvrages

  1. Poëte Turc moderne, qui a composé plusieurs poëmes à la louange des différentes maîtresses qu’il a eues. Dans une piece de vers, dont je lui ai entendu faire la lecture à lui-même dans le palais de France, étant à Constantinople, il comparoit le visage d’une belle à un parterre émaillé de mille fleurs, & ses regards au vent du midi, qui brûle & détruit les plus riches moissons. C’étoient-là les termes dont l’interprete se servoit. Mais il nous assuroit que les paroles originales étoient cent fois plus outrées.