Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Qu’illusion ! interjeta le clergyman ; mais, monsieur, vous oubliez que la femme est mentionnée formellement dans l’Écriture…

— La femme n’est qu’illusion ! poursuivit le poète anglais. J’entends la femme en tant que puissance séductrice. Car elle n’est en réalité ni aimable ni belle ; elle est bornée dans son esprit, et, à plusieurs titres, disgracieuse en sa chair. Je m’abstiens d’insister sur les imperfections de son corps, qui n’ont d’égale que l’outrecuidante présomption de beauté qu’elle en tire. À force de voiler ses prétendus charmes, on lui a persuadé et on nous a persuadé qu’elle en a. Les anciens, plus familiers que nous avec l’aspect du corps féminin, lui donnaient rarement la préférence. Le christianisme, pour éviter de pareilles déviations dans les choix, a fait de la femme un « porte-parure » en la couvrant à outrance de tissus et d’ornements propres jadis à attirer l’attention du menu peuple sur les idoles. Peut-être ne fut-ce pas assez, car c’est de peur qu’on ne se détournât d’elle qu’il incarna en elle le péché. Ruse sublime ! ornement incomparable ! et la plus merveilleuse trouvaille psychologique issue de la cervelle humaine ! Brillante et dangereuse, la femme devenait un excitant des plus nobles facultés de l’homme : la bravoure et le goût du beau. Les verroteries nous fascinent ; le péril nous exalte ; et le culte moderne de la femme est fait de cette double exploitation de notre crédulité.

— Mais, monsieur, s’écria le révérend Lovely en se bouchant les oreilles, vous n’avez donc pas reçu le baptême, ni ouvert l’Écriture ? Il y est dit…

— Je trouve notre poète très amusant, dit M. de Chandoyseau ; je regrette seulement que ma femme ne soit pas là, car elle apprécie beaucoup la philosophie de monsieur.