Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/110

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très réel avec lequel, grâce à l’habitude, un amant se familiarise et s’exalte aveuglément, tandis que le vierge répugne à sa seule représentation.

— L’Écriture Sainte, dit le révérend Lovely…

— Il est temps d’aller nous coucher, fit brusquement M. de Chandoyseau, en approchant la lueur de son cigare du cadran de son chronomètre.

— En effet, dix heures vont sonner dans quelques minutes ; bonne nuit, messieurs.

Gabriel remonta doucement du côté des annexes de l’hôtel, où le menu bruit d’un jet d’eau l’attirait presque chaque soir à l’heure de ses rendez-vous avec Mme  Belvidera. Le bassin se trouvait garanti par l’ombre épaisse des arbres verts et par le mur nu d’une petite chapelle où se célébraient, les dimanches, les offices du culte anglican. Un banc de bois demi-circulaire était placé au pied des arbres ; aucun regard indiscret ne pouvait plonger en cet endroit ; et la brise de nuit dans le feuillage, unie au murmure de l’eau, suffisait à couvrir leurs voix. Quand tout était assoupi, ils allaient plus loin, vers une tonnelle d’été plus meublée et mieux close ; parfois ils voulaient se figurer que le jardin était à eux et ils passaient une partie de la nuit à en parcourir les allées, à humer les fleurs, les herbes et la terre endormie. Un vieux tronc d’olivier, dans un endroit désert, était assez grotesquement aménagé pour qu’on pût monter jusqu’au cœur de ses branches noueuses, par un escalier tournant ; et l’on trouvait en haut une plate-forme, avec une table et des chaises. De là, la vue s’étendait au loin ; et quand leurs nuits heureuses se prolongeaient jusqu’au petit jour, ils montaient dans le vieil olivier pour voir blanchir le lac au milieu des montagnes.

Il attendit un temps toujours trop long, au pied des arbres verts ; il voulait s’efforcer de la voir arriver de