Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cette passion pour lui, le choc épouvantable, irrémédiable, au cas où ce lien si jeune encore, mais si vigoureux, viendrait à être brisé. Et il ne se pardonnait pas de n’avoir pas prévu que ce malheur pouvait arriver d’un moment à l’autre, devait arriver, inévitablement. Non, il était si fou qu’il n’y avait pas pensé.

— Votre mari arrive ? dites, dites-moi que votre mari arrive !

Elle eut un moment d’hésitation à répondre, qu’il attribua à la difficulté qu’elle avait peut-être à mentir, mais qui pouvait provenir chez elle de la légère stupeur provoquée par ces mots : « Votre mari » que son amant n’avait jamais prononcés. Puis elle vint à lui avec toute sa tendresse accoutumée :

— Mais non ! mio, puisque je t’affirme que non ! puisque je t’affirme qu’il n’y a rien de nouveau, rien.

— Tu me le jures ?

— Je te le jure !

— Sur quoi ?

— Bête, va !

— Sur quoi ? sur quoi ?

— Sur ce que tu voudras…

— Sur…

— Sur ?

— Sur la tête de ta fille !

— Sur la tête de ma fille ? dit-elle en élevant la main.

Puis ses larmes jaillirent tout à coup à flots, et elle laissa tomber sa tête sur l’épaule de Gabriel. Il la dévorait de baisers, dans une ardeur affolée, dans une joie de brute d’être délivré de la crainte de la perdre dès demain. Elle lui dit en pleurant qu’il était cruel. Il fallait qu’il fût plus que cruel, mais tout près de toucher à l’ignominie pour oser réclamer de cette malheureuse, à propos de lui, un serment sur la tête de