Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait avec bonne humeur à sa femme les péripéties de sa visite à ses électeurs courroucés parce qu’il s’occupait de sauver le peuple de Rome. Puis il donnait mille détails sur la maison, le jardin, les fruits, la vieille bonne préposée à la garde de la demeure de famille. C’était la maison où elle était née, où ils s’étaient connus, où ils avaient joué, enfants, où ils s’étaient promis pour la vie. Cette maison était située sur la pente de Fiesole, et les murs y étaient encore garnis de très anciennes peintures. Luisa revoyait par la pensée les jeunes seigneurs et les dames de couleurs passées qui l’avaient regardée grandir, impassibles, dans leur belle contenance, et qui étaient aussi pour elle des amis. M. Belvidera l’avertissait précisément qu’une de ces dames se détériorait et qu’une large croûte s’était détachée de sa chevelure blonde ; un scorpion, attribut symbolique, avait quitté la main d’un jeune homme et on en avait trouvé sur le sol les débris réduits en poussière.

Ces petites choses avaient pour elle une extraordinaire éloquence, et, comme personne n’était venu à son secours en interrompant sa rêverie, elle ouvrait de grands yeux égarés, et la réalité l’étonnait, la stupéfiait. Était-ce à elle qu’il écrivait, lui, sur ce ton simple et confiant ? Était-ce à elle que l’on racontait ces petits détails ? Jamais ces vieux murs, ces fresques, et les plus menus objets de la maison ou du jardin ne lui avaient paru si vénérables, si sacrés. Et que quelqu’un en prononçât seulement le nom devant elle, lui donnait la sensation, jamais ressentie encore, d’une profanation.

Mais elle rejetait vite cette impression pénible, car elle avait le goût de sa personne, et elle ne voulait pas, à tout prix, elle ne voulait pas que quelque chose, en elle, lui répugnât. Allons ! effaçons le présent : il