Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ah ! ah ! ah ! délicieux ! Elle n’aimait que le faux-vierge ! Elle ne peut se passionner que pour le cabotinage ; la sincérité lui paraît vulgaire !

— Avec ça, c’est un vrai potin dans tout l’hôtel. Votre pauvre ami ne va pas savoir où se nicher.

— Lee ! vous n’y songez pas : il ne s’apercevra de rien.

À peine Gabriel avait-il pénétré dans le hall, que Mme de Chandoyseau se précipitait à son encontre :

— Mais, enfin, vous, monsieur Dompierre, vous devez savoir le fin du fin de ces histoires-là !… Dites-nous ce qu’il y a de vrai ; nous sommes anxieuses, nous palpitons !…

— Madame, dit-il, en passant en coup de vent, j’ignore absolument ce dont vous voulez parler. Excusez-moi : mon ami Lee m’a prié de l’aller prendre à l’heure du lunch…

Il trouva Lee dans sa chambre, fort éloigné de croire que tout l’hôtel était occupé de lui. Il se garda bien de l’en avertir, et le poète lui parla aussitôt d’un problème d’esthétique fort intéressant et dont traitaient plusieurs journaux d’art, à l’occasion du différend qui avait appelé le peintre Antonius Plaisant à Venise. Le sujet les échauffa tellement l’un et l’autre qu’ils furent en retard pour le lunch. Il en résulta qu’ils eurent, Lee et lui, des physionomies si naturelles en se mettant à table, que la clientèle de Mme de Chandoyseau exerça sa malignité en pure perte. Lee continua à manger posément, avec appétit ; et il parlait avec ce calme et cette heureuse abondance que lui communiquait toujours un sujet pris à cœur.

Il s’agissait du rôle prépondérant ou non de la suggestion dans les arts. Il soutenait contre les objections de son ami, qu’en plastique, comme en littérature, l’idée suggérée était essentielle et suffisante à consti-