Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/146

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pas pu ; ne me demande pas pourquoi ; aie pitié de moi : je ne suis qu’une malheureuse femme.

« Mais je te reverrai ; il faudra bien que je te revoie. Surtout, ne t’en va pas !

« Voilà huit heures, j’entends le bateau siffler ; je ne suis plus à moi, mio, mais à toi tout de même et toujours.

» Luisa. »

Il n’y a pas de grands mots pour dire l’effondrement d’un homme qui, arrivé au faîte de la passion heureuse, en voit virer tout à coup le sens, et se trouve plongé dans l’incertitude complète du sort qui lui est réservé. Gabriel ignorait tout du mari de Mme Belvidera. Ils n’avaient jamais parlé de lui, chose assez étonnante même, le nom du tiers revenant à l’ordinaire se placer entre deux amants avec une sorte d’insistance fatale. Il supposait que ce silence chez elle était dû à une délicatesse qui n’était pas pour lui déplaire. Chez lui, il était le résultat d’une confiance absolue dans un bonheur qui le comblait parfaitement et qui écartait, comme de lui-même, toute idée qui l’eût pu ternir.

Il fut trop anéanti, à la suite du moment où un garçon d’hôtel vint lui remettre le malheureux billet, pour se livrer au petit travail de cervelle qui s’impose en de pareilles occasions, et par lequel on veut savoir, au moyen de conjectures minutieuses, établies sur les faits les plus insignifiants, le caractère, la figure, les mœurs et jusqu’au petit nom de l’inconnu qui va se dresser soudain au beau milieu de votre route. Il retomba lourdement sur le lit d’où il s’élançait avec tant de joie pour courir à une promenade matinale, et il demeura dans une espèce de léthargie, jusqu’au mo-