Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/155

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une opinion dépourvue d’arabesques superflues, en disant qu’il était « un homme très bien ». C’était le caractère le plus propre à inspirer la plus prompte sympathie. Mme Belvidera, Mme de Chandoyseau et Solweg étaient autour du groupe et recevaient, chacune à leur manière, le contre-coup du drame muet qui se jouait en ce moment-ci par le fait de cette amitié naturelle insurmontable qui naissait et s’établissait, là, sous leurs yeux, entre deux hommes qu’un secret terrible pouvait faire s’égorger dans un instant.

Gabriel n’osait lever les yeux sur ces dames, à cause de l’assurance qu’il avait que le chevalier découvrirait son amour, dans le moment où il regarderait Luisa. Il était si éperdument épris et si malheureux que cet homme intelligent ne pouvait demeurer longtemps avant de discerner la sincérité de ses sentiments. Sur un point, au moins, il était désormais rassuré : M. Belvidera ne pouvait pas soupçonner sa femme.

Fut-ce un mouvement généreux qui inspira à Solweg l’idée d’entraîner sa sœur ? Ces dames s’éloignèrent et ils furent au moins allégés de ces témoins étrangers.

Quelle devait être la torture de la malheureuse Luisa ! Gabriel ne lui devait-il pas, lui aussi, d’abréger cette scène en se retirant, quitte à froisser M. Belvidera ? Il allait le faire et il cherchait un prétexte pour s’en aller, rompu, meurtri, désespéré de la tournure des choses, quand le chevalier, par une fatalité du sort ironique qui gouverne le monde, s’excusa d’être obligé de le quitter pour son courrier politique et lui dit gracieusement :

— Je vous laisse ma femme.

Il n’eût pu être ridicule que si une sotte de l’espèce