Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les pures délices avant de te fournir les voluptés de l’amour, ta femme, la mère de ton enfant adorée ; sais-tu ? voilà six semaines que je la tiens dans mes bras chaque nuit, qu’elle m’enivre de ses regards et de ses mots d’amour en face de tous les gens que tu vois là, que tu veux pour amis ; oui, oui, tous le savent, jusqu’à cette jeune fille blonde qui sourit à ta fillette, mais oui ! celle-là même nous a vus les bouches unies ! Bien mieux ! ta fille, ta fille qui n’a pas dix ans, dans la pénétration étonnante de son instinct, soupçonne sa mère de détourner d’elle et de toi son amour, et tu peux lui en voir sa jolie petite figure tout attristée, regarde !… Ah ! comme je suis heureux d’avoir trouvé un ami !… »

L’Italien le cherchait, l’appelait à toute minute ; à la moindre occasion, il avait besoin de lui. Gabriel lui-même n’éprouvait le désir de causer qu’avec lui, dès que les idées générales de Lee commençaient à le fatiguer. Et la secrète douleur que lui causait son approche, à cause de l’inévitable retour sur soi-même, lui devenait un excitant puissant qui participait de sa passion contrariée, de sa rage contrainte, de toute la fièvre qui le dévorait. Il se vautrait à corps perdu dans cette amitié, et, à mesure qu’elle s’affermissait, s’avivait de part et d’autre, il y puisait une sorte de cynisme, un goût violent d’en jouir et d’en abuser. Il était tiré de l’espèce de paralysie que lui avait occasionné le premier contact avec le mari de sa maîtresse, de cette singulière prostration respectueuse en face de la noble dignité d’un homme. Trois jours de privation de Luisa avaient suffi à lui bouleverser la raison, à lui exaspérer les nerfs et à faire triompher en lui toute la tourbe d’instincts cruels que contient l’amour. Son désir ardent et naturel d’avoir Luisa s’augmentait de l’envie frénétique d’arracher Luisa à son ami. Il s’était