Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/169

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Il lui dit ceci, très tranquillement, très à l’aise, en se penchant vers son visage, presque à la barbe de son mari qu’il voyait derrière eux, les touchant presque ; puis il retourna la tête en arrière du côté de M. Belvidera, et ajouta tout haut, en souriant et prenant la jeune femme par le bras avec familiarité :

— Courons ! courons ! Voici votre mari qui nous surprend en flagrant délit de flirt !

M. Belvidera sourit simplement en se glissant entre eux, pour les séparer, et leur prit le bras à l’un et à l’autre.

Gabriel était heureux de son ignominie ; il ne la trouvait pas assez forte ; il aurait voulu quelque chose de plus abject. Mais il ne fallait pas désespérer ; l’occasion s’en offrirait tôt ou tard.

Cependant, le soir dans sa chambre, en prêtant l’oreille aux pas du corridor, à l’heure du rendez-vous fixé, il se demandait si Luisa n’allait pas le mépriser terriblement. « Je ne puis l’avoir, se disait-il, que moyennant des tours de force du genre de celui de cette après-midi, et par des audaces si basses, je m’aliène son estime ; elle ne viendra pas. Je suis perdu. »

On ouvrit la porte sans frapper. C’était elle.

— Ah ! ah ! dit-elle, en se jetant dans ses bras, comme tu as du toupet !

— Pourquoi ? comment ? fit-il, car il ne pensait plus à rien ; il oubliait tout, sous le coup de sa présence soudaine, de son baiser, de son corps appliqué à lui comme ces feuilles qu’un vent d’automne plaque vivement contre le tronc des arbres.

— Oh ! oh ! tantôt, tantôt !… dit-elle.

Elle se pendit à son cou :

— Oh ! oh ! tu m’aimes donc tant que ça, dis ! tu m’aimes donc tant !…