Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/171

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la montagne. « Je l’ai eue ! je l’ai eue ! » s’écriait-il. C’était comme s’il venait de l’obtenir pour la première fois, tant il avait cru puissante l’influence du retour de son mari. Elle était venue, à sa première supplication ; elle l’aimait donc ; elle continuerait à l’aimer. Elle l’aimait véritablement, puisque ses vilenies ne ralentissaient pas son amour, et qu’elle avait été touchée de son abaissement qui marquait son immense désir.

Il s’habilla dans une joie folle et alla prendre Lee, avant de descendre, bien déterminé à le convaincre de dîner avec tout le monde, à une même table, ainsi qu’il avait été convenu entre les membres de la caravane des « Îles Borromées ».

— Non ! dit Lee, je ne dînerai pas, je vais dehors.

Et il attira tout de suite son attention sur un journal anglais contenant, à propos d’une réédition de Shakespeare, un article qui l’indignait à cause des âneries qui y fourmillaient.

Gabriel comprit qu’il voulait se redonner du ton en allant retrouver Carlotta qu’il avait dû caser dans quelque autre hôtel, car on l’avait perdue de vue à l’arrivée. Le jeune homme venait de faire la remarque que toutes les fois qu’il avait lieu de soupçonner que Lee allait voir Carlotta, une accentuation soulignait sa coquetterie naturelle : il était rasé de frais ; il portait une fleur ; il avait une cravate nouvelle. Était-ce un indice de la nature de ses relations ? Aimait-il, décidément, puisqu’il cherchait à plaire ? À d’autres signes aperçus depuis quelque temps, tels que, par exemple, une plus grande facilité à quitter les hauteurs ordinaires de ses rêves pour descendre jusqu’à de modestes questions de personnalités, on l’eût pu encore supposer. Cependant, ce soir, apercevant l’espèce d’illumination que produisait sur la figure de Dompierre le plaisir de son amour