Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/173

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— Vieux matou ! dit-elle en souriant.

Puis elle s’élança, très légère, en sautillant, comme une fillette, sur les marches de l’escalier.

Lee, penché sur l’épaule de son ami, avait assisté à la scène.

— C’est grotesque ! dit Gabriel.

— Mais, je ne trouve pas ! dit Lee ; il n’y a de ridicule que ce qui échoue piteusement, et ce vieillard réussira.

— Vous croyez ?

— C’est évident : la nature a donné aux vieux amants une force qui, à elle seule, compense toutes les disgrâces de l’âge…

— Laquelle donc ?

— Mais le cynisme, parbleu ! C’est la flèche la plus redoutable que tienne en son carquois le fils de Vénus… J’ai vu des femmes s’abandonner avec des cris d’extase, aux plus répugnants personnages, pour la seule raison que l’audace de ceux-ci les avait rompues, brisées, réduites, dans la proportion même de sa monstruosité.

— Taisez-vous ! taisez-vous ! vous m’épouvantez !

— Pourquoi ? craignez-vous d’être obligé d’en arriver là un jour ?… ha ! ha ! ha !

— Est-ce que ces horreurs-là sont possibles ?… de la part de certaines femmes, oui ; de celles qui sont dépourvues de sensibilité, de délicatesse…

— De la part de beaucoup…

— Allons donc ! on voit bien que vous ne savez pas ce que c’est que l’amour !

Dompierre comprit qu’il le blessait profondément, cruellement, dans sa plaie secrète. Lee se redressa pourtant, et, lui mettant la main sur l’épaule :

— N’interrogez jamais sur l’amour ceux qui aiment, si vous voulez obtenir un renseignement un peu fondé.