Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/176

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jeu e fille qui lui était apparue pour la première fois au travers du lierre de la grotte d’Isola Bella. Le tourment d’avoir scandalisé une âme innocente qui le prenait et le quittait depuis lors, alternativement, selon qu’il se faisait de la sœur de Mme de Chandoyseau une idée favorable ou non, ce tourment qui avait fini par tomber dans l’absorbante exaltation de son amour pour Luisa, qui s’était même mué en une sorte de rage haineuse contre la complaisance témoignée par la pauvre jeune fille, le ressaisissait ce soir, à la suite des quelques paroles de la sœur aînée lui éclaircissant tout à coup le caractère énigmatique de Solweg.

Solweg était-elle donc tellement dissemblable d’Herminie ? N’avait-elle donc pas été élevée à la même école, formée par le même monde exécrable de snobs, de sots, de coureurs de premières représentations et de dernières esthétiques ? Elle n’avait goût à rien, disait sa sœur. Quelle merveille ! À une époque où tous les goûts sont à la mode, quel n’est pas le prix d’une femme qui n’en a aucun ! Elle avait, cependant, celui de vivre avec son frère, qu’il savait un homme d’un talent sobre et fort, ennemi des comédies et des intrigues. Ce choix ne dénotait-il pas la répugnance qu’éprouvait la jeune fille pour l’existence creuse et vide des Chandoyseau ? et n’expliquait-il pas son double refus d’entrer dans un monde sans doute analogue ? Serait-ce décidément cette jolie nature très simple qui avait été le témoin fortuit de l’aventure de la grotte ? Il retrouvait ce soir le premier frisson que cette idée lui avait causé et il eût voulu essayer de racheter sa conduite envers cette enfant qui lui manifestait tant d’indulgence, qui était évidemment malheureuse, à cette heure, et que l’on torturait probablement depuis plusieurs jours, depuis le jour où il avait surpris son visage aussi défait que l’était le sien, à cause de ces