Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/177

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deux godelureaux de brillant équipage, qu’elle venait d’évincer d’un petit « non » ferme et décidé. Mais il était tellement agacé du retard que mettaient à descendre M. et Mme  Belvidera, l’inquiétude, la jalousie amoureuse l’envahissaient si tyranniquement, que tout mouvement généreux ne pouvait qu’avorter, étouffé au fond de lui aussitôt conçu. Par contre, la méchanceté, le désir de faire souffrir autour de soi, de voir d’autres angoisses, d’autres blessures pareilles aux siennes, l’aiguillonnaient encore à être désagréable pour tous et spécialement pour cette petite dont la chair tendre semblait si propice aux piqûres ! Mais il fallait surtout joindre aux divers venins qui l’empoisonnaient, le dépit de s’être trompé sur le compte de Solweg, la honte de l’avoir traitée comme une pimbêche vicieuse, comme une Parisienne en quête de flirt. Pendant le dîner, des sons de valse venus du dehors, lui rappelaient l’unique fois où il avait été la prier de danser, et où son silence, sa stupidité affectée, et peut-être le reflet extérieur des ignobles pensées qui l’avaient traversé alors, avaient dû le faire prendre par elle en si grande pitié que de là certainement venait cette mine d’indulgence dont elle l’accompagnait depuis, avec une persistance fatigante.

Il fut aussi peu gracieux que possible. La jeune fille avait le cœur gros et elle étouffait encore à grand’peine de petits mouvements de sanglots qui lui donnaient un air enfantin. Il la défendit naturellement contre sa sœur qui lui faisait des remontrances un peu lourdes ; mais il la défendait d’une manière si pointue que le bras qu’il lui tendait l’écorchait au lieu de la soutenir. Il n’avait en réalité aucune pitié ; son amour-propre blessé lui tenait lieu de tout sentiment. Bientôt ses paroles aigres et ambiguës, les sermons monotones d’Herminie et l’énervement que versait la