Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/195

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avait disposées sur des meubles et des escabeaux, devant une baie vitrée donnant sur le lac. Puis, comme un joli animal qui a trouvé l’endroit convenable où se nicher, elle s’était étendue sur un tapis, au milieu des roses, des pivoines, des camélias et des tubéreuses.

Lee s’installa à son chevalet, et prit ses crayons.

— C’est un bien merveilleux modèle, dit Dompierre, mais est-ce que vous obtenez qu’elle pose ?

Il doutait que cela fût possible, à la voir élever ses bras pour piquer une fleur dans sa chevelure, allonger puis reployer ses jambes, se tourner et se retourner tout entière.

— Poser ? dit Lee, mais qu’entendez-vous par là ? Elle pose admirablement, puisque chacun de ses moindres mouvements est digne d’être retenu. Le geste qui vaut d’être fixé n’a pas de durée ; il est instantané, insaisissable, sauf à un œil attentif qui l’a pour ainsi dire pressenti, qui l’attend, qui le reconnaît au moment où il s’effectue. La grande pénurie d’artistes originaux vient de ce que très peu d’hommes ont le don de happer au passage ce signe fugitif qui traduit un élément premier de la nature. Le noter seulement serait faire œuvre féconde, puisque c’est uniquement par de telles observations que la vitalité d’un art se maintient en un renouvellement continu. Pour moi, j’attache quelque valeur au fait d’en user à propos pour le transposer en ces sortes de symphonies plastiques…

Et il levait un regard indulgent sur les cartons empilés où ses compositions étaient enfermées avec soin. Déjà, sous sa main, naissaient des formes inspirées des attitudes variées de la superbe fille qui, à présent, s’étirait les bras et paraissait sur le point de s’endormir.

Et il mêlait comme à l’esquisse qu’on l’avait vu exécuter à l’Isola Bella, des ondulations, des flexibi-