Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/196

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lités florales aux courbes harmonieuses du corps de la Carlotta, aux serpentements de sa chevelure brune et épaisse qui, au hasard des mouvements instinctifs, caressait ou abandonnait son épaule et son sein. Cela ressemblait à la poésie de Lee, laquelle s’élevait à chaque instant avec une liberté complète, au delà de l’observation humaine, mais étant partie toujours du solide point d’appui de la vérité. Ses dessins étaient l’illustration naturelle de ses poèmes, et l’œil, en en parcourant les savants entrelacs, était-il sur le point d’être pris de vertige dans le labyrinthe des lianes incertaines, qu’il retombait, à intervalles mesurés, sur le dessin ferme d’un bras, d’une nuque, d’un dos, d’une gorge, stylisés à peine, de peur de perdre la chaleur et l’esprit qui animent les contours humains.

Carlotta avait fermé les paupières ; le double arc de ses cils répandait de la gravité sur son visage ; ses joues au teint doré pâlissaient légèrement, et le dessin pur de sa lèvre donnait la moue divine de certains marbres antiques. Son souffle régulier soulevait et abaissait la sombre fleur de sa poitrine. Elle dormait.

— Voilà, dit Lee, le seul repos que l’on puisse exiger d’une femme sans lui faire violence et la dénaturer… Ah ! ajouta-t-il, vous vous étonnez de ce qu’une fille qui ne permet pas à un homme de lui chatouiller le menton sur le pas de sa porte, s’endorme ici, si aisément et si vite, nue comme une Ève, en face de deux messieurs ?

— Oh ! fit Gabriel, la pudeur est un peu comme ces fleurs, qui depuis vingt minutes ont déjà incliné la tête, et seront fanées dans deux heures… surtout quand l’orage s’en mêle !…

Le poète lut dans ses yeux la conviction où il était