Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/197

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qu’il avait fait de Carlotta sa servante en faisant d’elle sa maîtresse.

— Vous n’y êtes pas ! dit-il. Le jaloux Paolo qui épousera cette fille, ou l’homme qui sera son amant ne la verront jamais dans l’état où elle est là, devant nous qui sommes des étrangers pour elle. Vous auriez de la peine à vous figurer jusqu’à quel point les instincts pudibonds sont développés chez ces pauvres gens pour qui c’est un péché grave que de laisser voir seulement son épaule. La plupart s’aiment, j’en suis certain, en conservant une entière chasteté des yeux. Si j’avais « débauché » la Carlotta — dans le sens où vous entendez ce mot, — elle ne cesserait de mêler l’idée du péché à celle du dévêtement de sa chair, et je n’aurais pu m’inspirer que des mouvements de la Vénus pudique…

— Alors, fit Gabriel, vraiment, vous n’avez pas ?…

— Que vous êtes vulgaire ! D’ailleurs, je crois que j’aurais eu toutes les peines du monde à obtenir, à ce propos-là, la moindre faveur de Carlotta, qui est « honnête » — dans le sens où vous entendez ce mot aussi, — jusqu’au scrupule, mieux que cela, comme vous allez voir, jusqu’à l’héroïsme !

— Oh ! oh !

— Je vais vous en donner la preuve. Il y a une chose qui a sur cette fille un pouvoir extraordinaire, une puissance qui lui ferait, je m’en doute, tuer père et mère ou mettre le feu à son village…

— Allons donc !…

— Le meurtre est demeuré tout à fait dépourvu du caractère d’infamie, dans la cervelle de presque tous ces Italiens qui se sont conservés à l’abri des mélanges de races… Je considère que ce que j’ai obtenu est bien plus fort que si j’avais exigé d’elle un assassinat…

— Mais par quel moyen, voyons !