Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/215

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— Je suis comme un homme qui aime, qui aime à en perdre la raison.

Mio !

Ce nom doux qu’elle lui donnait aux meilleurs de leurs moments, lui fit l’effet du dernier cri d’un oiseau qu’on étouffe. Elle l’avait dit tout bas, oh ! avec prudence, avec sagesse ! lui seul pouvait l’avoir entendu. Il la regardait : son teint mat faisait une tache claire dans l’ombre, et il avait cru reconnaître le gracieux jeu des lèvres qu’elle avait autrefois, lorsqu’en le prononçant elle en baisait les deux syllabes sonores. La façon dont elle le disait aujourd’hui, c’était une concession au passé, un souvenir attendri, une complaisance en retour de l’activité que le jeune homme avait témoignée à cause d’elle et qui lui était, hélas ! plus importune qu’agréable.

Mio ! reprit-il lui-même sur un ton de triste ironie.

— Eh bien ! fit-elle, qu’avez-vous ?

— Un immense chagrin.

— Je vous répète que vous êtes un enfant.

— Hélas non !

— Mais que vous faut-il ? qu’exigez-vous de moi ?

— Oh ! vos mots me cinglent la figure comme des coups de fouet ! soyez moins dure, je vous en prie !… Je n’ai pas le droit « d’exiger ». Et quant à la faveur que l’on obtient par ce procédé, faites-m’en grâce, dites !

Il y eut entre eux un moment de silence pesant. Le lac encore agité amenait presque à leurs pieds ses petites lames clapotantes. Mille lumières étincelaient sur le rivage de Bellagio ; de grands nuages déchirés couraient sous la lune. Luisa regardait fixement devant elle, au travers des feuilles éclaircies, cette belle nuit troublée qui annonçait la fin de la saison. Il était assis tout contre elle, sans la toucher ; il la sentait, la respi-