Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/238

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— Avez-vous un moyen de l’éviter ?

— Je cherche… je cherche… Vous fuir ?… m’en aller ? Ce serait vous abandonner toute seule à la méchanceté de cette femme et elle insinuerait à votre mari des doutes que personne ne serait en état de dissiper… Il faut que je demeure affublé effrontément de la responsabilité de l’affaire Carlotta !

— Pauvre Carlotta !

Gabriel se souvint que Carlotta n’était pas la maîtresse de Lee, et que son honnêteté était irréprochable. Et de la façon dont tournaient les choses, au lieu de défendre la malheureuse contre une accusation injurieuse qui prenait les proportions d’un scandale public il contribuerait à accréditer la calomnie. Il eut un moment d’hésitation ; il fut sur le point de dire à sa maîtresse : « Non, ce moyen-là est impossible ! Carlotta n’est pas ce que vous croyez ; quand nous l’avons vue sortir de la chambre des fleurs à l’Isola Madre, elle n’avait pas reçu les baisers de l’Anglais ; elle était son admirable et innocent modèle… Je dois au contraire la laver de la réputation qu’on lui a faite ! » Il haussa les yeux sur Mme  Belvidera qui le considérait, un peu anxieuse, mais s’accrochant déjà à ce moyen comme à une planche de salut provisoire ; et dès lors il était prêt à souiller toute la candeur du monde pour sauver la femme qu’il aimait.

Il jeta un regard alentour ; on ne voyait plus personne dans l’allée ; il se pencha sur la bouche de la jeune femme et lui dit dans un baiser, tout en brandissant avec hilarité son chapeau et sa canne :

— Je suis l’amant de la Carlotta !

— Oh ! fit Luisa, en souriant à demi, ce n’est pas bien, ce que nous faisons là !