Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/242

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En vérité, Monsieur Dompierre manifeste des goûts plus élevés, à moins qu’il ne soit un hypocrite achevé. Mais, monsieur, vous n’avez donc jamais regardé ce jeune homme-là en face ? Vous n’avez pas vu la fièvre qui lui brûle les yeux, qui lui amaigrit les joues, qui secoue ses fines mains nerveuses ! C’est un aristocrate dans toute la force du terme ! C’est un garçon qui ne peut avoir qu’une de ces passions où l’esprit a autant de prise que les sens et le cœur ! Ces hommes-là se ruiner pour des filles ! Allons donc ! Tenez ! si cela était, ce ne pourrait être que par dépit ; mais alors faudrait-il qu’il eût par ailleurs quelque passion farouche ! On ne fait des largesses à une va-nu-pieds comme la Carlotta, que sous les yeux de quelque grande dame qu’on prétend toucher par l’étalage de son désespoir !… Ah ! monsieur, je m’étonne de ne pas vous voir défendre votre ami, car je sais que vous l’estimez fort. Croyez-moi, ce n’est pas un homme à aimer une fille… Mais, chut !… Le voilà qui vient avec votre femme !…

M. Belvidera comprit l’insinuation que cette langue de vipère s’efforçait de faire pénétrer en lui, sous le couvert de la générosité. Il allait s’éloigner indigné, et rejoindre sa femme, quand le minutieux clergyman ajouta :

— Pourtant, madame, on dit que Monsieur Dompierre fit hier pour la Carlotta, une athlétique prouesse, une… comment appelez-vous le chose… cette chose où il risquait le vie pour une toute petite stioupidité… une gageure, c’est cela !

Le chevalier avait connu avant tout autre l’histoire de la gageure. Bien que fort désintéressé, à l’ordinaire, de tous les racontars et les on-dit, la question devenait attrayante pour lui, par suite de l’intérêt même qu’il portait à Gabriel Dompierre. Au lieu de se dégager du groupe de Mme  de Chandoyseau et du clergyman