Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/252

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elle savait que Gabriel ne l’aimait pas ! Si elle avait eu la moindre raison d’être jalouse, elle l’aurait détestée sans doute ! Mais elle avait le beau rôle. C’est pourquoi elle s’était accoutumée à tant s’attendrir sur elle. Cependant, Solweg, elle, ne devait-elle pas la haïr ? C’est à peine si Mme Belvidera osait l’approcher ; elles n’avaient jamais échangé que des paroles de politesse. Mais elle avait un grand plaisir à sentir entre elle et la jeune fille le lien innocent de la petite Luisa. Il lui semblait que la petite Luisa lui versait de sa tendresse, et que, par la petite Luisa, elle recevait d’elle un peu d’amitié… Enfin que de choses muettes et tendues entre ces deux femmes !

Pourquoi Mme de Chandoyseau avait-elle prié Luisa d’aller voir Solweg ce matin ? Il est probable que Solweg avait demandé des nouvelles de sa rivale, ce qui était une façon d’avoir de celles de Gabriel, et que le nom de Mme Belvidera revenant à la mémoire de Mme de Chandoyseau, elle avait pensé que sa « sœurette » aurait plaisir à la voir. Luisa ne pouvait plus s’arrêter en chemin, et, d’ailleurs, elle éprouvait, à voir Solweg seule une bonne fois, et en cette franchise que donne la maladie, une attraction qui l’emportait…

Elle fut un peu décontenancée par la surprise que Solweg témoigna à la voir. Son « vous, madame ! » la glaçait. Mais elle remarqua dans les yeux de la jeune fille toute une tempête soudaine, un bouleversement.

Solweg en l’apercevant avait reçu comme un petit coup de bâton à la nuque, et elle avait senti sa cervelle trembler ; quelque chose lui était passé par tout le corps, elle avait eu, le temps de deux secondes, comme une taie sur les yeux, et puis elle s’était raidie, en disant : « Voyons ! voyons ! » Pauvre petite ! C’était encore une de ces épreuves qu’elle s’apprêtait à renfoncer, après combien d’autres, au dedans d’elle-même,