Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/272

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coalisées en vue d’une fascination des créatures, dont le but secret nous échappe. Est-ce que cette Carlotta, toute beauté et tout inconscience, n’était pas l’image merveilleuse du mystérieux génie qui gouvernait ici ?

Quand le bateau stoppa à Laveno, Carlotta ne s’était pas interrompue. Les gens du port, accoutumés à cette musique, cherchaient sa barque et sa cargaison. Comme on ne l’avait pas entendue depuis plusieurs jours, on se pressait aux abords de l’embarcadère, et beaucoup applaudissaient à cet heureux retour de la marchande de fleurs. Combien de femmes, combien d’amants, combien de ces rêveurs solitaires que l’on voit promener sur ces rives leur spleen ou leur chagrin, avaient manqué ces jours derniers de cette jolie chanson du soir ! Combien d’âmes animait et charmait, sans s’en douter, la belle enfant des îles, le gracieux génie ignorant de soi-même, et qui ne croyait répandre pour un peu d’or, que des fleurs et d’innocentes paroles ! Les bravos gagnaient, s’élargissaient ; on accourait de toutes parts, et lorsque le bateau vira en frôlant les jardins des villas emplies d’ombre, des voix d’enfants claires et joyeuses, et des voix plus mâles et émues, venues de tout un monde invisible, prolongèrent les acclamations. Enfin l’on quitta la rive pour gagner Pallanza en traversant la lac en sa largeur, et Carlotta ne chanta plus que pour la Reine-Marguerite.

— Il faut convenir, dit Mme  de Chandoyseau, que cette fille a un organe admirable, et, quand elle se tient à sa place, on peut l’applaudir.

— Même lorsqu’elle se tient à sa place, prononça amèrement le révérend Lovely, cette fille fait du mal… Cette miousique, en vérité, fait du mal.

Plusieurs personnes sourirent. Dompierre se souvint qu’il n’avait pu s’empêcher d’en faire autant, quand le clergyman, prenant son bain, il y avait de cela quel-