Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en commun que leur horreur d’eux-mêmes, où il n’était plus question que de l’ignominie de leur conduite. Que Lee avait donc raison ! — et c’était pour cela qu’il était exaspérant ! — que leur amour était laid ! Dans quelle fange ils se vautraient ! Elle ne cessait de lui avouer qu’elle ne l’aimait pas ; et elle tombait dans ses bras avec cette sorte de frénésie que seul, peut donner le mépris de soi-même ou l’abandon de soi, tête perdue, dans l’abîme. Ils n’avaient plus de caresses ; ils se faisaient mal, se battaient, s’écorchaient. Lui seul essayait de ramener la douceur entre eux, mais à la première expression tendre, elle le coupait brutalement : « Pourquoi me dis-tu ça ? je ne t’aime pas ! tu sais bien que je ne t’aime pas ! » — « Mais alors, que fais-tu là ? » — « Ce que je fais ? mais je me perds ; j’achève de me perdre ; je ne suis pas tout à fait assez perdue ! ah ! ah ! ah ! il me demande ce que je fais là ! »

Et c’était cela qu’il attendait, c’était cette ivresse sanglante qu’il espérait encore en se piquant la figure et les mains contre les aiguilles des arbres verts ! Car il était là, encore, la tête dans le feuillage, à s’avancer, puis à se retirer précipitamment, en faisant tout bas : « holà ! » lorsque la douleur était trop vive. Il se souvenait de la voix de Luisa : « Combien de fois t’es-tu piqué ? » — « Trois fois ! » — « Ce n’est pas assez ! ce n’est pas assez !… la prochaine fois, il faudra !… »

Là, les jambes lui manquèrent ; il s’assit. De tous les souvenirs de l’amour, le plus atroce est celui du son de la voix. « Mio ! mon Mio ! » Ses oreilles s’emplissaient de ce chant incomparable : « Mio ! mon Mio ! » Puis il se releva précipitamment ; il avait cru entendre réellement ; il fit un pas dans l’allée. Personne ! Le désert, plus vide, plus immense que jamais. Le bruit du jet