Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeu. C’était dans la proximité du palais. Il l’empoigna par la main sans lui rien dire et l’entraîna. Ils parcoururent toute une allée sans prononcer une parole. L’ombre était déjà partout épaisse. Il souleva le lierre, poussa la porte de la chambre des fleurs sans rencontrer de résistance. Ils n’entendaient l’un et l’autre que leurs souffles très émus, et au loin, dans le parc immense, les longs cris du jeu. Gabriel verrouilla la porte sans quitter la main de Luisa :

— Ah ! je t’ai ! dit-il, en la baisant comme une bête vorace.

Elle était hébétée, folle, absente. Elle ne songea qu’à dire :

— Prends garde ! je suis pleine de feuilles.

Mais il mordait à même le corsage, les feuilles rouillées et humides, au petit goût fadasse et corrompu de chose morte.

Ils roulèrent parmi les fleurs dont ils entendaient craquer les tigelles écrasées et dont la saveur forte était incommodante. Les feuilles qu’elle avait dans les cheveux exaspéraient Luisa ; elles lui retombaient sur la figure ; elle croyait que c’étaient des bêtes ; elle voulait qu’on fît de la lumière.

— Oh ! oh ! disait-elle, c’est fini ! c’est fini ! Il faudra bien que je m’arrache à tout cela… Nous allons partir !… Oh ! quelle misère ! quelle honte !

On entendit à nouveau les cris et les appels lointains des joueurs.

— On nous croit perdus, dit Gabriel avec une espèce d’ironie féroce.

— Tais-toi ! tais-toi ! dit-elle ; tu me fais horreur ; nous sommes bien perdus en effet !

— Ah ! donne ! donne ! faisait-il de sa voix de passionné éperdu, en lui écrasant la gorge de ses baisers, comme il écrasait les fleurs. Et tout le corps de la mal-