Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/302

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— À la bonne heure ! dit Gabriel, comme ça !…

— Oh ! signore, malheureusement c’est trop tard !

— Comment ! c’est trop tard ?…

Les trois hommes regardèrent tous dans la même direction, et, avec un geste résigné des bras :

— Ça y est !

— Grand Dieu ! il l’a tuée !

On voyait à une cinquantaine de mètres les lueurs vacillantes des lanternes que quelques-uns des hommes avaient songé à apporter ; et on distinguait tout autour des gens courbés ou à genoux.

Le jeune homme ne fit qu’un saut. On l’accueillit par le même mot simple et tragique :

— Ça y est !

Quelqu’un ajouta :

— Ça devait arriver.

Carlotta était couchée sur le sable. Ses cheveux avaient été défaits dans une lutte corps à corps où elle avait dû se défendre désespérément ; une blessure à la tempe rougissait cette toison noire magnifique, presque à l’endroit où elle avait coutume d’y piquer des roses pourpre ; sa bouche était entr’ouverte ; on apercevait l’arc d’ivoire de ses dents. On avait déchiré son corsage dans l’espoir qu’elle respirât encore, et sa pure poitrine de déesse et de vierge demeurait immobile comme un marbre. On la recouvrit. Sa figure gardait, comme aux jours de son court bonheur, la sérénité puérile ou divine des chefs-d’œuvre antiques. Avec sa lèvre relevée et ses bras demi-nus écartés en croix, elle n’était pas différente de ce qu’elle était dans sa barque, lorsqu’élargissant les bras pour saisir les avirons, elle commençait de chanter.

Les amis arrivèrent, ayant cessé le jeu en entendant les cris. Mme Belvidera s’était jointe à eux ; et les