Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/308

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Le ciel était pur, rempli d’étoiles ; l’air était calme et doux. Malgré le murmure des voix, le grand silence du lac était sensible, et la certitude qu’aucun chant ne s’élèverait ce soir de là-bas, du côté de la grosse masse enténébrée de l’île mère, répandait une angoisse, étreignait la gorge de tous ceux que cette musique avait émus.

Assis en face de Mme  Belvidera, Gabriel Dompierre, accablé, tournait la tête tantôt du côté de la jeune femme et tantôt vers cette grande plaine immobile où s’était mirée la période la plus tumultueuse de sa vie. Ni l’un ni l’autre des deux amants n’osaient parler. Mais tous deux comprenaient le sens du mystère que la nature impitoyable semblait avoir représenté devant eux et pour eux. Car l’illusion de la vie est telle que la plupart des événements et des choses y paraissent vraisemblablement organisés pour ou contre chacun de nous.

Ils se rappelaient cette voix entendue sur le lac, dès la première soirée de leur séjour, cet attrait irrésistible qui les avait placés côte à côte dans une même barque, à la poursuite de la séduction flottante qu’avait été la jolie marchande de fleurs. Et chaque soir la chanson ardente et naïve avait été une invitation nouvelle à l’amour. Cette mélodie les avait été chercher, les avait attirés, fascinés, jusqu’à ce qu’elle les berçât aux bras l’un de l’autre dans la barque amarrée sur le sable, aux environs des lauriers-roses. Quelle volonté cachée, quel caprice inconnu avait prémédité et exigé leurs baisers, leurs extases et jusqu’à leur douleur présente ?

Et la figure de Carlotta grandissait dans leur esprit. Certaines paroles de Lee leur revenaient à la mémoire, et ils ne souriaient plus du poète qui avait salué en cette fille des Borromées, le génie du lac et des îles.