Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/321

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pour chercher les mantilles de ces dames, à cause du vent qui fraîchissait, Gabriel offrit son bras à Solweg et l’on marcha quelque temps sans rien dire. L’émotion de la pauvre enfant était au comble. Son amour étant né malheureux et s’étant développé dans l’amertume, elle éprouvait toute la joie possible aux femmes destinées à souffrir, en s’apercevant que pour la première fois sa tendresse ne répugnait pas au jeune homme et qu’il se laissait soigner avec complaisance.

Un hasard fit qu’elle voulut se reposer sur le banc demi-circulaire qu’enclosait le massif des cyprès. Elle ignorait assurément que cet endroit rappelât des souvenirs brûlants à Gabriel. Il la retint du bras, par l’effet d’un mouvement involontaire. Il ne pouvait pas s’asseoir là, il ne pouvait pas ! c’était plus fort que lui. Elle ne comprenait pas et insistait doucement ; ils avaient marché beaucoup et les jambes venaient à lui manquer. Elle se tourna vers lui, et vit sa figure :

— Ah ! fit-elle.

Ce fut une petite exclamation de surprise et de désespoir, si tendre que sa sœur elle-même ne l’entendit pas. Cependant les yeux de Solveg rougirent. Elle n’insista pas ; elle se refit elle-même des jambes par un effort de volonté : elle fut même moins lourde à son bras, et ils allèrent plus loin.

Il avait saisi tout ce qui s’était passé. Mais cette douleur à côté de lui ne pouvait que faire déborder la sienne, et les larmes lui montèrent aux yeux. Il se contint, d’un mouvement violent, et elles ne firent que perler. Mais ils s’étaient vus pleurer l’un et l’autre, et leurs deux infortunes, cependant si contradictoires, les rapprochaient.