Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/328

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Elle sourit sous sa capeline imperméable dont la chaleur lui rosait les joues :

— Bien volontiers, dit-elle, mais il faut que je vous prévienne de ne pas m’appeler Solweg devant lui, cela le met en colère !

— Pourquoi donc ?

— Je ne m’appelle pas Solweg. C’est ma sœur qui a tenu à me baptiser ainsi depuis trois ans… Figurez-vous que je m’appelle Marie-Rose.

— À la bonne heure !

— Oui, mais c’était un peu simplet, vous comprenez, pour ma sœur !…

Elle éprouvait un véritable bonheur de se voir enfin débarrassée du malentendu et de l’affublement ridicule que Mme  de Chandoyseau avait répandu sur toute sa personne ; elle était pleine d’espoir, elle se croyait heureuse, et sa figure animée prenait une grâce nouvelle.

Dompierre, en effet, continuait à lui parler avec complaisance. Mais elle s’aperçut que ses yeux étaient ailleurs encore. Il regardait fuir les rives d’où le poète avait vu émerger une trop réelle sirène ; il s’appliquait à percer le brouillard ; il s’acharnait à distinguer une dernière fois tel et tel lieu, à ressusciter tel souvenir dont la saveur lui versait un suprême enivrement. Elle reprit, près de lui, son attitude de patience et d’attente.

La pluie s’épaississait, le bateau filait, toute cette baie de volupté disparaissait dans une grisaille impénétrable ; on tourna, et ce n’était plus la peine même de regarder. Gabriel eut une oppression comme si l’air venait à lui manquer ; ses narines battaient ; sa bouche était entr’ouverte en quête d’un souffle épuisé : il avait senti expirer le parfum des îles Borromées.

FIN