Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/81

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elle y était prise et elle avait fini par fermer les yeux.

Ils étaient venus là en riant. Elle s’efforçait d’aimer la plaisanterie et il s’y acharnait lui-même, surtout dans les moments où il mourait d’envie de se jeter à ses pieds en l’adorant.

Ils avaient fui, ce soir-là, le monde artificiel qui bourdonnait comme un essaim de guêpes autour de leur amour tacitement avoué, et ils se trouvaient en face l’un de l’autre comme deux ennemis, et faisant profession de douter réciproquement d’un penchant dont ils étaient très sûrs. Ils avaient comploté des yeux cette sortie : ils s’étaient dit des yeux : « Je vous aime ! » et « Oui, je vous aime ! » Leurs cœurs avaient bondi simultanément en se retrouvant dans l’ombre, loin du cercle de leurs amis ; mais ils avaient à peine osé se toucher la main, et les mots pressés, courts et fébriles qui leur étaient venus à l’un comme à l’autre, étaient des mots qu’ils eussent pu prononcer dans la présence des gens qu’ils s’étaient donné tant de mal à quitter.

Dans un endroit où la route passe assez près du rivage, ils avaient aperçu cette barque isolée et tirée sur le sable. C’était le moment où ils commençaient à mettre presque de l’amertume dans leurs propos, où ils s’enfonçaient de petites pointes blessantes à plaisir. Elle lui dit : « Rentrons, je vous prie ! » Il lui dit : « Vous êtes lasse, asseyons-nous… » L’installation dans la barque apporta une trêve à leurs escarmouches, mais fut le prétexte à mille facéties. Enfin, ils faisaient presque de l’esprit, lorsque arriva la brise chaude au goût des fleurs de lauriers-roses. Ils se penchèrent instinctivement l’un vers l’autre, et de tout le reste du temps n’eurent plus envie de rire.

Il aimait à se figurer que cette brise contenait toute la vertu de l’admirable paysage, et il lui gardait,