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MARCHE LENTE

C’est une laiterie ; il y a des pintes de grès, des faisselles à fromages, une baratte à battre le beurre, et, contre un coffre de bois, Rachel de Grenaille-Montcontour, née Niort-Caen, se faisant hausser à portée de la bouche un grand seau de fer-blanc à demi plein du lait qu’on vient d’y traire !… Le tableau, paraît-il, était exquis. Un demi-jour venait de l’étable voisine où l’on apercevait la croupe de plusieurs vaches. Et cette jeune femme dont toute la personne est une volupté, comme chacun sait, la taille cambrée, la gorge tendue sous son corsage d’amazone, arc-boutée à deux mains en arrière contre le coffre, buvait avec ivresse une véritable rivière de lait !

— C’est bien innocent, dit Mlle Cloque.

— C’est la réflexion que se fait le capitaine de Champchevrette à qui, d’ailleurs, il suffit d’avoir reconnu Rachel et de l’avoir vue vivante pour n’insister pas davantage. Il ne songe pas à s’étonner qu’elle ait pu leur fausser compagnie depuis le matin pour venir ici se gorger de lait. Il court au-devant de Mme la comtesse. Il lui fait signe de loin : « Accourez, madame, accourez ! » Ses grands gestes d’allégresse tranquillisent déjà la belle-mère. L’air mystérieux du capitaine, dès qu’elle approche, et ses recommandations de « silence !… pas de bruit !… » la préparent à une surprise agréable. Enfin, c’est en souriant que la comtesse, relevant haut sa