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NIORT-CAEN

moyen âge formaient des saillies pittoresques, on aboutit aux quais de la Loire, qu’on remonta jusqu’à l’entrée du pont de pierre, entre les deux squares où les statues blanches de Rabelais et de Descartes baignaient leur marbre dans l’ombre diluvienne.

De là, Mlle Cloque apercevait la double ligne droite indéfinie des réverbères, prolongée au delà du pont immense par la Rampe de la Tranchée qui s’élève en pente douce et se perd à l’horizon. Et elle laissait ses yeux aller sur cette guirlande lumineuse établie là ce soir, lui semblait-il, comme pour solenniser sa montée au calvaire. Le vent d’Ouest plaquant l’eau à baquetées sur la glace de gauche, le large fleuve ne se laissait deviner par elle que sur la droite, dessiné par les lumières des jetées tant de fois parcourues lorsqu’elle allait à Marmoutier. Des souvenirs nombreux et confus revenaient à son esprit agité, troublé et meurtri par la rapidité des événements. Elle les chassait ; elle voulait ne s’appliquer qu’à préparer ce qu’elle allait dire, en arrivant là-bas. Les battements de son cœur lui rappelaient ses vingt ans, son pas de somnambule en arrivant dans la rue d’Enfer au bout de laquelle était la maison du grand homme !… — Qui donc conduit les timides, quelle force étrange les mène et les soutient dans ces démarches résolues où ils vont comme à la mort ? — Malgré elle, son imagination parcourait l’intervalle