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LES DEUX BLESSÉES

Il était loin le temps des stations chez Roche, des bonjours à Mlle Zélie à travers les glaces : « à tout à l’heure !… » des promenades dans le gai mouvement de cinq heures. Et le battement de cœur que donnait autrefois l’hôtel du Faisan qui symbolisait l’arrivée en vacances ! Il semblait à Geneviève que des années avaient passé durant un seul triste hiver.

Jadis, Mlle Cloque menait chaque année sa nièce se faire examiner la bouche par Mönick. Mais l’illustre chirurgien ayant augmenté ses prix, à mesure que diminuaient les ressources de la vieille fille, on avait fait fléchir son amour-propre, et on allait pour la première fois chez le concurrent, situé juste en face, moins cher, aussi fort, disait-on, et nommé Stanislas de Wielosowsky.

C’était un Polonais blond et gras qui avait un violon et un pupitre à musique derrière le terrible fauteuil machiné. Il parlait d’une voix douce à l’accent agréable :

— Des dents de nacre, fit-il.

— Oh ! oui, dit Mlle Cloque, elle a une dentition très délicate.

Il promenait le petit miroir entre le double hémicycle des fines dents transparentes.

— Il y en a une piquée, dit-il. En voici une autre… Oh ! oh ! ajouta-t-il, en soulevant la lèvre, d’un doigt parfumé : ce sont les gencives !… qui est-ce qui soigne donc cette jeune fille-là ?