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MADEMOISELLE CLOQUE

Elle était un tantinet plus élégante. Elle conservait pour la vente ses jerseys collants qui, s’ils avaient fait crier quelques dévotes, s’harmonisaient exactement aux goûts de sa nouvelle clientèle. Mais elle avait modifié sa coiffure, et portait des cheveux sur le front que Mlle Cloque trouvait « immodestes » et qui lui donnaient un piquant appréciable, sinon du meilleur aloi. Ses hanches s’arrondissaient : pour un rien, elle sautait sur l’escabeau, levait un bras vers un rayon et vous regardait de là-haut, le sourire aux yeux et aux fossettes des joues, la lèvre abaissée soigneusement sur ses dents imparfaites.

Pigeonneau tenait tout l’entresol avec sa reliure. Il correspondait avec sa femme par un tube acoustique, et ne descendait guère. Tout au plus, quand on tardait à répondre à son coup de sifflet, voyait-on apparaître le bas des jambes de son pantalon, dans un petit escalier tournant, à la rampe garnie de serge verte. Et il ne se gênait pas pour faire allusion, de là-haut, aux commandes du Conseil municipal ou du Lycée de jeunes filles, nouvellement fondé.

M. le marquis d’Aubrebie, sans qu’il l’avouât, souffrait de cette révolution. Il allongeait sa promenade jusqu’à la rue Nationale, et achetait des almanachs et des photographies d’actrices au lieu de statuettes et de médailles : là n’était point pour lui le grand dommage. Mais, en face des demoiselles de magasin, de la caissière et des