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DE L’ANALOGIE

Le grec avait un substantif οὖθαρ (génitif οὔθατος), « mamelle », dont l’ancienneté est attestée par le latin uber et l’allemand Euter, ainsi que par le sanscrit ūdhar. Ces noms en -αρ, -ατος se sont multipliés, pour marquer quelque partie du corps. On a γόνατε, « les deux genoux », ὤατε, « les deux oreilles », προσώπατε, « les deux yeux », et même κάρηαρ, « la tête ».

On compte enfin dans toutes les langues quelques mots qui, rapprochés par le sens, ont aussi été rapprochés par la forme. Le grec, par exemple, a λάρυγξ et φάρυγξ, σῦριγξ et σάλπιγξ ; le sanscrit a anguštha, « le pouce » ; ōštha, « la lèvre » ; kōštha, « le ventre » ; upastha, « le giron » ; les langues celtiques ont leurs mots en arn et en orn : vagues restes de classification, aux trois quarts effacés, comparables à ces alignements qui attestent encore, sur l’emplacement des villes disparues, que les hommes ont autrefois essayé d’y bâtir en ordre leurs demeures[1].

C’est surtout dans la syntaxe qu’on a occasion d’observer cette sorte de symétrie. Beaucoup de constructions qui répugnent à la pure logique trouvent par là leur explication. Si les verbes signifiant « prendre, ravir, enlever » se construisent en latin avec le datif, c’est que « donner, attribuer, offrir » se construisent avec le datif. Si l’on dit diffidere ali-

  1. Voir Bloomfield, On adaptation of suffixes in congeneric classes of substantives, Baltimore, 1891. — Zimmer, American Journal of Philology, 1895, p. 419.